New York. 7 février 1988. Confortablement installé dans une chambre d’hôtel de Times Square, j’éteins la télévision. Sonné. Choqué. Pour la première fois, je viens de voir un All Star Game NBA en direct. Ou plutôt un All Star week end. Un évènement vu qu’en France le basket US n’est qu’un vague concept, une page de plus sur le rêve américain de tout adolescent. En vacances dans la Grosse Pomme pour accompagner le paternel qui doit boucler quelques dossiers à l’international, je ne regrette pas de m’être protégé du froid polaire pour découvrir un autre monde, et apercevoir en vrai quelques uns de mes héros, et d’autres qui allaient forcément le devenir.

Accroché aux seules images qui venaient jusqu’à nous, mes joueurs préférés se nomment Magic et Worthy, portant le drapeau du Showtime des Lakers contre les affreux et tellement académiques Celtics de Bird et McHale. Mais ici on parle aussi des jeunes Detroit Pistons et de leurs Bad Boys qui s’installent sur la Conférence Est à coup de mandales et agressions. Et on parle de Michael Jordan, qui est en train de réaliser une saison de mammouth, pratiquement jamais vue jusqu’alors. Certains le prédisent MVP à la fin de la saison, de meilleur défenseur, de meilleur scoreur (ce qui risque de devenir une habitude), d’autres parlent de « greatest of all time » (WTF ???!!), ce qui parait dingue au bout de 4 ans passés dans la ligue.

Toujours est il que Air Jordan fait parler de lui déjà parce qu’il est chez lui, mais surtout pour ce qu’il s’est passé hier. Ah oui c’est vrai en France vous n’avez pas eu les images. Eh bien nous avons vécu ce que les spécialistes US décrivent comme le plus grand Slam Dunk Contest de l’histoire. Wilkins contre Jordan. Air vs The Human Highlight Film. Grace absolue contre puissance inarrêtable. Des 50 à la pelle, et pour finir un dunk (oui ici on dit « dunk » et pas « smash » comme on l’entend sur Antenne 2) de la ligne des lancers francs de Jordan. Apparemment, il l’avait déjà fait l’an dernier, mais celui ci restera dans toutes les mémoires, on prend le pari. Les premières photos des journaux sont incroyables. Le type semble voler, l’horloge indiquant 3:51 sous les yeux et bouches grands ouverts des spectateurs. Cela vaudra un autre 50, et Jordan gardera son trophée.

 

Dunk contest en apéro, et All Star Game hier, ça sentait bon la piste aux étoiles. Une exhibition comme on en voit rarement, mais aussi du jeu, et des rivalités East vs West qui transpirent même dans ce type de match. Tout est scruté, jusqu’aux passes de Isaiah Thomas pour Jordan, ennemis jurés et qui se foutraient bien sur la tronche le reste de l’année, réconciliés juste pour 48 minutes. Score final 138-133 pour l’Est. Et là encore ce fut un feu d’artifice pour MJ : 40 puntos à 17/23 aux tirs (second plus carton de l’histoire des ASG derrière Wilt Chamberlain), 8 rebonds et 3 passes. MVP, forcément, était il besoin de le préciser…

 

Et tout ca dans sa toute nouvelle paire de chaussure nommée « Air Jordan 3 ». Je suis resté complètement scotché devant ce noir et gris, mis en avant par les nouvelles publicités en noir et blanc et ce jeune acteur et réalisateur nommé Spike Lee autour d’un personnage loufoque nommé Mars Blackmon qui tente de devenir le meilleur pote de Jordan en rêvant, lui aussi, de pouvoir défier la gravité et d’avoir ce « hangtime » que le monde entier envie à l’athlète.

 

 

Believe the hype ! Dès le lendemain je fonce dans le premier shop de sport que je trouve (ça ne manque pas à NYC), et demande timidement une Air Jordan 3. Vu que c’est lundi les new yorkais travaillent, n’ayant pas le temps de se payer une journée shopping pour me piquer ma paire de Nike. Sauf que cette Jordan a été un carton dès sa sortie et qu’elle est très difficilement trouvable. Heureusement pour moi, les ricains sont des géants et il reste du 40, coup de bol. 100 dollars plus loin (une fortune mais pour la Rolls des chaussures de basketball ca semble normal), je sors du magasin à toute vitesse, comme si j’étais suivi et traqué, mon trésor à la main, impatient surtout de les ramener en France pour rendre dingue mes potes avec cette paire que je serai le seul à avoir, et surtout la tester sur mon parquet fétiche. Game Time !

CONFORT : Facile à enfiler, cette Air Jordan est à la hauteur des attentes. Grâce à un cuir assez souple et de bonne qualité, pas besoin de quatre séances pour se sentir à l’aise et pour « faire » le modèle. La légende selon laquelle Jordan changerait de chaussure à chaque match renforce cette impression. En tant que joueur, pas de temps à perdre à assouplir sa chaussure, il faut foncer. La languette épaisse en feutrine appuie un peu au départ sur les côtés, mais ca reste anecdotique et s’oublie très rapidement. Efficacité immédiate, et point important : c’est du « true to size ». Oubliez la demi pointure en dessous ou au dessus : on ne se sent ni serré, ni compressé.

 

 

MAINTIEN : La Jordan 3 est un mid cut, ce qui est en soit une vraie avancée , surtout quand on la compare aux autres modèles disponibles en cette année 1988, avec des tiges très, voire très très hautes. Le vendeur m’a dit que par rapport à la Jordan 1 et 2, la 3 est beaucoup plus aboutie et qu’un soin particulier a été apporté au maintien. Au moment de tenir la paire entre mes mains, avec d’autres clients qui attendaient leur tour, je me suis dit tout de suite que la qualité du cuir ferait la différence, tout comme le système de laçage qui verrouille bien le pied. La pièce de plastique sur le talon rassurera les anxieux. Ca tient comme il faut !

 

 

AMORTI ET TRACTION : Le compromis parfait. Les appuis du Maitre sont tellement violents que le courtfeel (contact au sol) est bien dosé, mais la semelle de la III est une vraie avancée, bien expliquée par une petite notice dépliante livrée dans la boite. On y apprend notamment que le designer de cette chaussure, un certain Tinker Hatfield, est également celui de la Air Max 1, d’où la présence de la bulle d’air bien visible sous la semelle. Vous vous rendez compte : une bulle d’air, une vraie, sous votre pied ! Le reste de la semelle est en caoutchouc classique, mais cela répond bien aux changements de direction et prise d’appuis plus basiques sur des rebonds.  N’oubliez pas que ce modèle peut vous faire décoller de la ligne des lancers francs. Minuscule bémol pour l’accroche sur sol poussiéreux. Mais pas de point douloureux même après un freinage ou un changement de direction brusque. L’amorti est très bon, surtout (je me répète) quand on le compare aux modèles qui sont sur le marché en cet hiver 88.

 

 

DURABILITE : Une Jordan, ça se chérit, quelle qu’elle soit. Et une Jordan ramenée des US, avec un coloris «black cement», encore plus ! L’ensemble parait assez solide, notamment avec le renfort sur le mudguard dans cet imprimé que le vendeur m’a vendu comme « elephant print » si j’ai bien compris. C’est clairement une chaussure de basketball, et rien que l’idée d’érafler mon imprimé éléphant sur l’asphalte me colle des sueurs froides. Ca reste néanmoins très épais et solide : après une bonne semaine d’entrainements intensifs, pas un pli ni une éraflure. En même temps, c’est la moindre des choses pour une paire de kicks à 100 dollars. Le prix de l’excellence. Mars Blackmon l’a dit : « demonstrating some serious hangtime » !

 

 

STYLE : Ré-vo-lu-tion ! Tinker Hatfield a montré qu’il était un magicien. Après le «mais où est le swoosh ?», puis «ca marchera jamais c’est trop bas comme chaussure…», on finit par s’incliner. Silhouette unique, look flashy malgré des couleurs basiques, cette III se porterait même avec un jean. Et que dire de ce nouveau logo qui représente MJ en train de dunker, le bras tendu tenant le ballon, comme sur la photo prise avec les Jordan 1 en 1985. Qui sait, peut être que ce logo sera sa marque de fabrique pour (espérons le) les 10 prochaines années ? J’ai l’impression que tout le monde regarde mes pieds pour le moment, mais si Jordan continue sur ce rythme, d’ici quelques années on se rendra compte du côté iconique de cette sneaker qui sera peut être l’une des plus reconnue de l’histoire. En plus, seul le 23 des Bulls la porte en NBA cette saison. Amis ballers, il faudra assurer avec une telle arme !

 

 

CONCLUSION : Du noir, du gris, du rouge, un logo flambant neuf, une technologie Air qui semble arriver du futur, un confort sympathique, la Jordan III inspirera certainement sur les parquets les mêmes réactions que devant Michael Jordan himself : crainte et respect. Seul regret : ne pas avoir eu le droit d’en prendre deux paires, une pour maintenant et une pour plus tard… Mais qui sait, quand Air Jordan aura pris sa retraite, il sera peut être temps pour Nike de rééditer ses vieux modèles ? Et pourquoi pas retrouver d’ici 10, 20 ou 30 piges la Jordan III Black Cement dans les sneakershops de l’hexagone (en espérant que Nike traverse l’Atlantique). Et là, croyez moi, je ne les laisserai pas passer !

Tant pis pour mes rêves de showtime, ce All Star Game m’a rendu Jordan addict, j’espère qu’il arrivera à se défaire de ces foutus Bad Boys pour aller battre peut être un jour Magic en Finale NBA. Mais ça, c’est une autre histoire.

NOTE : 18/20

 

 

Pierre Samama

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